Entretien avec … Ibrahima Nour Eddine Diagne, Administrateur Général de GAINDE 2000
Ibrahima Nour Eddine Diagne, Administrateur Général de GAINDE 2000
« Aujourd’hui les pertes estimées de recettes causées par la COVID-19 sont de l’ordre de 40% de nos prévisions »
Leader dans le secteur digital, la société GAINDE 2000 a été affectée par la pandémie de COVID-19. L’Administrateur général Ibrahima Nour Eddine Diagne révèle les pertes causées à leur compagnie et les mesures d’ajustements internes. Il livre aussi son analyse sur l’impact de la pandémie sur les entreprises, sur l’économie et met en exergue les séquelles d’ordre transformationnel et les bases de la construction d’une nouvelle économie, avec notamment une utilisation accrue du numérique par les entreprises et les particuliers.
Bouleversement de la machine économique
« La crise sanitaire de la COVID-19 constatée au Sénégal depuis le 02 mars 2020 a entrainé un profond bouleversement de la machine économique nationale avec des répercutions lourdes sur notre activité qui est essentiellement arrimée sur le commerce international. Nous avons donc bien été impactés. Pour vous permettre de mesurer la crise que nous traversons, je reviens sur notre métier à travers nos trois principaux axes de développement.
L’impact de la fermeture des frontières
Notre premier métier c’est l’exploitation du Guichet Unique électronique des formalités du Commerce Extérieur du Sénégal dénommé ORBUS. 70% de nos revenus proviennent de cette activité qui a connu une baisse de 35%. Nous sommes en effet tributaires du volume des opérations d’importations et d’exportations qui a diminué avec la fermeture des frontières. Notre deuxième métier c’est l’exportation de services qui représente 20% de nos revenus et qui est cloué à 0% depuis le début de l’année. Nos équipes ne sont plus actives et nos clients sont impactés.
Mesures d’ajustements internes
Les 10% restant sont consacrés aux services domestiques et sur ce registre notre activité est plus ou moins stable sur nos prévisions du premier semestre. Vous voyez donc que notre modèle d’entreprise est totalement perturbé par cette crise. Les ressorts de notre résilience tiennent au fait que nous avons dès le début du mois de mars, anticipé sur une possible crise et nous avons pris des mesures d’ajustements internes.
Pertes de recettes de l’ordre de 40%
La situation est difficile pour tout le monde. Aujourd’hui les pertes estimées de recettes causées par la COVID-19 sont de l’ordre de 40% de nos prévisions. Nos travailleurs sont de plus en plus en mode télétravail. Les organisations patronales ont fait faire des études générales sur les impacts négatifs et la gestion de la COVID-19 sur les différents secteurs d’activités. Il y a l’étude du CNP qui met en exergue les premières conséquences économiques, sociales et financières de la crise sanitaire en milieu professionnel.
Des pertes de trésorerie pour les entreprises
Les impacts sont ressentis à travers les ajustements des conditions de travail, la révision des horaires de travail et le renforcement des mesures de protection du personnel, ainsi que l’arrêt des interventions sur les sites des clients. Ces circonstances entrainent des pertes de trésorerie pour les entreprises du secteur du Numérique.
Perspectives de croissance du secteur digital
Paradoxalement, les perspectives de croissance du secteur digital n’ont jamais été aussi bonnes en raison de la propension des organisations à utiliser le numérique dans l’après COVID. Il faudrait que la commande publique suive pour que le secteur digital national ne soit pas sinistré. . .
Impact économique et social durable
La crise de la COVID-19 s’est manifestée avec violence sur les prévisions des entreprises, sur leur fonctionnement et globalement sur l’activité économique. L’Etat du Sénégal a compris que la pandémie de COVID-19 est une crise qui aura un impact économique et social durable. Ainsi l’Etat a initié à travers le Ministère de l’Economie, du Plan et de la Coopération, un Programme de Résilience Economique et Sociale pour accompagner les citoyens et les entreprises.
Ce programme avait travaillé sur la base de quatre principaux piliers que sont le Renforcement du système de santé, le Renforcement de la résilience sociale des populations, la Stabilité macroéconomique et financière pour soutenir le secteur privé et maintenir les emplois et enfin l’Approvisionnement régulier en hydrocarbures, produits médicaux, pharmaceutiques, et denrées de première nécessité.
Ogre qui menace la tranquillité
Nous avons bien apprécié les mesures annoncées. Elles devraient être à la hauteur de la menace. Toutefois, la pertinence de ces mesures était basée sur l’hypothèse que la crise allait durer 3 mois, avec une reprise timide à partir du 4ème mois. La perspective de prolongations est aujourd’hui l’ogre qui menace la tranquillité. Il faudra sans doute un deuxième plan le cas échéant.
Forte réduction de l’activité économique
La première phase était marquée par la guerre contre l’épidémie qui s’installait. La stratégie consistait pour l’Etat, et le secteur privé, à mettre en place des mesures de restrictions pour arrêter la propagation de la pandémie en préservant à la fois les emplois et l’outil de travail dans le cadre de plans de continuité. Cette étape est marquée par une forte réduction de l’activité économique et a justifié l’accompagnement de l’Etat pour les différents segments économiques et sociaux. Cette première phase a duré trois mois allant de mars à juin 2020. Nous sommes à un deuxième cycle marqué par une transition avec l’assouplissement des mesures restrictives pour favoriser la reprise des activités économiques. Le rythme de redressement économique dépendra très largement de l’application effective des mesures prises par l’Etat et par la BCEAO au plus fort de la crise.
Activités au ralenti
Les entreprises subissent des déficits et l’horizon n’est pas encore dégagé. Toutes les activités sont au ralenti incitant les entreprises à se concentrer davantage sur leurs plans de continuité d’activités. Les entreprises devraient davantage investir sur le capital humain et accorder aux employés une autonomie encadrée et basée essentiellement sur la confiance et la responsabilité. Les employés en télé-travail seront de plus en plus engagés sur des livrables qui pourraient booster la productivité des entreprises.
Atouts de l’adaptation et du numérique
Oui les entreprises doivent avoir des organisations plus agiles pour s’adapter assez rapidement aux mutations. Pour ce faire, le Numérique devient un atout majeur et un outil indispensable à mettre en œuvre au niveau des différents secteurs d’activités. En ce qui concerne l’Etat, la fiscalité devrait être mieux distribuée pour permettre aux entreprises lourdement assujetties d’être plus compétitives et à l’administration d’avoir une base d’assiette plus large avec des contribuables fiables et solvables.
Construction d’une nouvelle économie
Les nombreux questionnements autour de la pandémie de COVID-19 et les nouvelles habitudes des populations en application des gestes barrières et des mesures de confinement sont sans doute les signes annonciateurs de la construction d’une nouvelle économie qui sera caractérisée par des entreprises hésitantes sur l’avenir, des salariés désireux de profiter de la vie et une nouvelle économie basée sur la gestion de la distance avec le digital au cœur de sa réalité.
Séquelles d’ordre transformationnel
Même s’il s’agit d’une simple hypothèse, il faut se dire que les séquelles de cette crise sont d’ordre transformationnel, car les raisons qui ont justifié les grands bouleversements que l’on observe ne disparaitront pas avec le recul du virus COVID-19. Le spectre d’une récidive et l’appréhension de l’émergence d’une autre nouvelle pandémie plus violente vont constituer pendant longtemps la matrice de construction d’une nouvelle société et donc d’une nouvelle économie.
2020, décennie du recentrage
Le monde découvre sa vulnérabilité au grand jour. Les populations comprennent que la propension de leurs leaders politiques à les protéger envers et contre tout connait des limites. Elles comprennent aussi que la puissance scientifique, technologique, économique et militaire ne suffit pas à contrer toutes les menaces. Ainsi donc, la décennie 2020 s’annonce comme celle du recentrage de tous les fondamentaux de l’ordre politique, l’ordre économique, l’ordre social et l’ordre multilatéral.
Créativité du management
La survie des entreprises lourdement ou moyennement impactées dépendra du leadership et de la créativité de leur management. Dans cette crise, le leadership c’est d’abord la capacité d’inspirer la confiance et ensuite de mobiliser les énergies pour la transition vers un idéal plus stable, fondé sur un intérêt commun durable. Cette crise est de nature à fragiliser les légitimités managériales mal assises. Les livres de management ne contiennent pas de leçons pour gérer une crise qui a tendance à s’inscrire dans la normalité.
Impact sur la liberté de circulation
Sur le registre multilatéral, il y a un fort risque de repli sur soi des pays et de leur économie. Le système d’ouverture des frontières avait connu de premières restrictions avec l’apparition du sujet de l’immigration dans les discours politiques. Ensuite, la sécurité est venue redéfinir la gestion des frontières après le 11 Septembre 2001. Cette fois-ci, c’est la santé publique qui vient avec violence interrompre la traversée des frontières et c’est parti pour impacter durablement la liberté de circulation.
L’entreprise africaines et les richesses africaines
Les pays s’ouvriront entre partenaires de confiance et l’Afrique, pour une fois, sera obligée de compter sur elle-même. Aucune opinion africaine n’accepterait de voir sa population confinée et ses richesses dé-confinées. Je pense que les Européens parleront d’Europe, les Asiatiques d’Asie, les Arabes de leur région, les Américains d’Amérique et que donc les Africains seront contraints de parler d’Afrique. L’entreprise africaine ne sera pas en crise si elle se nourrit des richesses africaines. Ceci n’est pas une invite pour un repli africain, je crois encore à la mondialisation des enjeux et je ne verse pas dans les discours xéno-répulsifs. Tous les peuples sont dignes de considération et tous les Etats sont des partenaires utiles et bénéfiques. Il s’agit juste d’une invite pour un réalisme africain compatible avec un monde en reconstruction ».
Joseph SENE