Diène Faye, Directeur des Pêches Maritimes : « La dynamique de l’exploitation a conduit à un surinvestissement et une surexploitation de la plupart des ressources halieutiques d’intérêt commercial »

L’impact de la pandémie de COVID-19 sur la pêche artisanale et les exportations ; le plan de résilience et de relance de l’Etat ; la raréfaction des ressources halieutiques ; les pertes et/ou profits causés par les accords de pêche signés avec des pays étrangers ; les stratégies mises en œuvre pour la restauration des ressources halieutiques . . .
Tels sont les points que Diène Faye, directeur des Pêches Maritimes (DPM), décortique dans cette interview. Cet ingénieur halieute au Ministère des Pêches et de l’Economie Maritime fait aussi des révélations sur le projet de remplacement des embarcations en bois par des pirogues en fibre de verre, sur la problématique du versement d’une part des redevances d’accès à la ressource aux Conseils Locaux de Pêche Artisanale (CLPA), ainsi que sur la mise en service du nouveau Quai de pêche de Soumbédioune.

 

La crise sanitaire liée à la maladie à Coronavirus a eu des répercussions sur le plan économique. Quel est l’impact de la pandémie de COVID-19 sur le secteur de la pêche artisanale et sur les exportations de produits halieutiques ?

Les mesures de contingentement prises dans le secteur de la pêche, au début de la pandémie de COVID-19, notamment la limitation des jours d’ouverture et des heures de débarquement dans les principaux quais de pêche (exemple Mbour, Joal, Pointe Sarène, etc.), des sites de transformation artisanale (Mballing, Tann et Khelcom, etc.) et l’interdiction du transport interurbain ont entrainé une baisse de l’activité de production des pêcheurs, des mareyeurs, des femmes transformatrices et des autres métiers connexes.
A titre illustratif, le quai de pêche de Joal-Fadiouth a enregistré, pour la période du 16 au 29 Mars 2020, une baisse des mises à terre de 75%. Les débarquements sont passés de 5.576 tonnes (semaine du 16 au 22 mars) à 1.350 tonnes (semaine 23 au 29 mars). Les activités des embarcations de pêche artisanale bénéficiant de licences de pêche, dans le cadre d’accords avec les pays de la sous-région tels que la Guinée Bissau, la Gambie, sont arrêtées du fait d’une absence de marché d’écoulement. Cela constitue un manque à gagner pour les pêcheurs détenteurs de licences. De même, la transformation artisanale et le mareyage ont connu des baisses respectives de 65% et 74% sur la période considérée. Cette situation s’explique par un ralentissement général de l’activité de pêche, suite aux mesures de contingentement prises par l’autorité administrative. La transformation artisanale et le micro-mareyage sont essentiellement exercés par les femmes qui constituent la couche la plus vulnérable. Aussi, la baisse de la production halieutique, le sous-approvisionnement des marchés locaux ont eu des conséquences sur la sécurité alimentaire des populations des régions continentales et des îles en particulier. S’agissant des exportations, il apparaît que la pandémie de COVID-19 a impacté négativement les activités des unités de production et de transformation industrielle, la durabilité des emplois et des revenus. La fermeture des frontières a entrainé une baisse des exportations de produits halieutiques. Il en est de même pour les employés des industries connexes : frêt maritime, aérien et terrestre, entrepôts frigorifiques, consignataires, manutentionnaires, etc.
Elle a également un impact sur les engagements des entreprises de pêche auprès des institutions financières (banques et assurances), de sécurité sociale (IPRES, IPM, CSS) et des impôts et taxes. Au total, 33 établissements à terre sont impactés dont 17 en arrêt total d’activité. Les emplois menacés sont évalués à 2.038 à la date du 30 mars 2020. Au quai de pêche de Joal, aucun débarquement de produits frais à destination des unités de transformation industrielle n’a été noté pour la semaine du 23 au 29 Mars 2020 contre 582 tonnes pour la semaine du 16 au 22 Mars 2020.

« Impact de la pandémie de COVID-19 sur  les exportations de produits halieutiques . . . »

Les exportations des entreprises de pêche sont passées de 464 tonnes pour une valeur commerciale de 2,2 milliards de F CFA au mois de Février 2020 à 279 tonnes pour une valeur de 1,3 milliard de F CFA au mois de Mars 2020. Cette baisse est due à l’arrêt des activités des entreprises dépendant du frêt aérien directement impactées par la fermeture des frontières. Selon les industriels rencontrés, les entreprises exportatrices de produits halieutiques ont subi une perte de chiffre d’affaires de 25 à 35%.
Les mareyeurs interrogés au niveau de certains sites de pêche soulignent être fortement impactés par les effets néfastes de la pandémie de COVID-19 et sollicitent, par conséquent, un appui de la part de l’Etat. Qu’en pensez-vous ? Que faut-il faire pour la relance des activités de la pêche artisanale et des exportations ? Les bouleversements observés dans les systèmes productifs sont relatifs aux perturbations des heures de travail, aux problèmes d’accès aux zones de pêche, à la réduction du temps de pêche, à la restriction des libertés et opportunités du pêcheur et à la baisse relative des prises.
A ces problèmes, s’ajoute la perturbation de la chaîne de distribution relative au ralentissement du mareyage national et sous-régional des produits halieutiques. Pour soutenir les acteurs et les industries du secteur fortement impactés par la COVID-19, le Ministère des Pêches et de l’Economie Maritime a élaboré un plan de résilience et un plan de relance. Ces plans analysent les effets directs et indirects de la pandémie sur les différents maillons économiques du secteur de la pêche, de l’aquaculture et des transports fluviomaritimes. Ils dressent le bilan socio-économique, les mesures de mitigation des impacts, les solutions envisagées pour l’accompagnement des différents acteurs, les stratégies et les moyens techniques et financiers à mettre en œuvre. D’emblée, il convient de souligner que 2 milliards de francs CFA ont été mis en place pour permettre aux pêcheurs, mareyeurs et femmes transformatrices de redémarrer leurs activités. Le  Ministère des Pêches et de l’Economie maritime a pris l’option d’en faire un fonds revolving afin que le plus grand nombre puisse en bénéficier. Aussi, le programme de développement de la pêche artisanale, en cours d’exécution, prévoit un appui conséquent en matériel et équipements de pêche pour les pêcheurs, mareyeurs et femmes transformatrices.

Les acteurs que nous avons rencontrés, au niveau des zones de pêche artisanale, se plaignent, à l’unanimité, de la rareté du poisson. Ils portent tous un doigt accusateur sur les bateaux étrangers qui pêchent dans les eaux sénégalaises. Qu’en pensez-vous ? Que gagne le Sénégal avec les accords de pêche signés avec des pays étrangers ? N’y a-t-il pas plus de pertes que de profits avec ces accords ?
Différentes causes sont évoquées pour soutenir l’idée de la raréfaction des ressources halieutiques au Sénégal. Les plus récurrentes sont la surpêche, les changements climatiques et l’utilisation de techniques et d’outils de pêches inadaptés. En effet, la dynamique de l’exploitation des ressources halieutiques a conduit à un surinvestissement et une surexploitation de la plupart des ressources halieutiques d’intérêt commercial.
S’agissant des accords de pêche, les seuls navires étrangers autorisés à pêcher dans les eaux sous juridiction sénégalaise sont ceux de l’Union Européenne (31) et du  Cabo Verde (1),  soit au total 32 navires. A ce titre, l’accord de pêche avec l’Union Européenne a comme apports :

– Redevances payées
– Appui sectoriel (construction de quais de pêche, immersion de pots à poulpe, ..)
– Embarquement de 2.500 marins sénégalais
– Paiement de taxes portuaires, etc.
– Débarquement de la prise des canneurs pour l’approvisionnement du marché local.

« Il convient de souligner que la négociation des accords de pêche ne relève pas de sciences exactes »

Le département des Pêches et de l’Economie maritime se démarque de ceux qui théorisent que les accords signés avec l’Union Européenne sont léonins. Il convient de souligner que la négociation des accords de pêche ne relève pas de sciences exactes. La négociation est à la fois une question politique et diplomatique, économique et commerciale, mais aussi sociale et environnementale. Les fondements de ces accords partent très souvent de l’existence d’un surplus de stock. Pour le cas spécifique des thonidés, ce sont des espèces de poissons grands migrateurs qui voyagent dans toute l’Atlantique en haute mer, mais aussi en passant par les zones économiques exclusives des pays africains riverains de l’Atlantique.
Ces thonidés sont gérés par la Commission Internationale pour la Conservation des Thonidés de l’Atlantique. Le thon ne reste que 2 à 3 mois dans la Zone économique exclusive sénégalaise. C’est aussi pour cette raison que la compensation pour un accord sur le thon est plus faible que pour un accord mixte, où les bateaux européens viennent pêcher des ressources qui appartiennent au pays côtier. D’ailleurs, même s’il  n’y avait  pas d’accord avec le Sénégal, les bateaux européens continueraient à pêcher ce thon en dehors des eaux sénégalaises, lorsqu’il se trouve en haute mer ou dans les ZEE des pays voisins avec qui l’UE a un accord, et le Sénégal n’en retirerait aucune compensation financière. S’agissant du merlu, deuxième espèce prévue par le protocole d’accord avec l’Union Européenne, il s’agit d’un poisson transfrontalier pêché des deux côtés de la frontière sénégalo-mauritanienne. Il vit à de grande profondeur entre 200 et 1.000 mètres et rarement pêché par nos pêcheurs artisans.

 

Quelles sont les stratégies mises en œuvre pour la restauration de la ressource halieutique ? Et quels résultats en tirez-vous ?

Dans un contexte mondial de raréfaction des ressources naturelles notamment halieutiques, la gestion responsable et durable de la pêche constitue une priorité. Au Sénégal, la dynamique d’exploitation des ressources halieutiques a conduit à une surexploitation de la plupart de ces ressources. Cette évolution s’est traduite à la longue par une forte détérioration de la rente halieutique. Ainsi, pour renverser cette tendance, des réformes majeures sont mises en œuvre, visant à gérer durablement les ressources halieutiques, à restaurer les écosystèmes côtiers et continentaux, à accroître la valeur ajoutée des produits et à développer l’aquaculture. Dans le cadre de la  mise en œuvre de mesures de gestion et d’aménagement des pêches, les actions suivantes sont mises en œuvre :

  •  Instauration du permis de pêche : il a été instauré par l’arrêté N° 005916 du 25 octobre 2005. Son objectif est de réglementer l’exercice de la pêche artisanale dans les eaux maritimes sous juridiction sénégalaise. Le permis de pêche constitue un changement majeur en termes de paiement d’une redevance pour l’accès aux ressources halieutiques pour la pêche artisanale.
  • Immatriculation des pirogues : le Programme National d’Immatriculation (PNI) est mis en œuvre depuis 2006. L’objectif du programme d’immatriculation est la maitrise du parc piroguier.
  • Mise en place des Conseils locaux de Pêche artisanale (CLPA) : les CLPA sont des organes de concertation créés par arrêté du Ministre chargé de la pêche, en application du Code de la pêche maritime.

Ils ont pour mission de contribuer à la gouvernance locale des pêches, à l’exploitation durable des ressources halieutiques et au développement du secteur de la pêche maritime. La présidence des CLPA est assurée par le Préfet ou le Sous-Préfet. Il existe quarante (40) CLPA répartis sur l’ensemble du territoire national.

  • Création de Zones de Pêche Protégée (ZPP) : elle vise la reconstitution et la conservation de ressources halieutiques à travers la délimitation de zones avec des fermetures spatiotemporelles de la pêche selon l’objectif visé (protection de juvéniles, de la ponte, etc.).

Ces ZPP ont été créées dans plusieurs localités, notamment Ngaparou et Ouakam avec l’appui des partenaires au développement. La création de ZPP sera étendue dans un futur proche à d’autres  localités. La création de ces ZPP s’accompagne d’immersion de récifs artificiels.

  • Cogestion : le Gouvernement, conscient des limites de la gestion centralisée, a opté pour le principe de la cogestion visant à impliquer et à confier des responsabilités aux acteurs dans la gestion des ressources halieutiques.

Plusieurs initiatives de cogestion ont été instituées dans les localités de pêche, notamment dans la Petite Côte (Ngaparou, Mbour, Joal, Pointe Sarène, etc.), dans la Grande Côte (Cayar, Lompoul et  Ouakam), et dans le Sine-Saloum (Bétenti et Foundiougne). Ces initiatives de cogestion ont consisté à responsabiliser les pêcheurs dans l’élaboration, l’application et le suivi des mesures de gestion telles que le repos biologique, l’amélioration de la sélectivité des engins, la régulation de l’effort de pêche, etc.

  • Elaboration et mise en œuvre des plans d’aménagement des ressources : les plans d’aménagement visent principalement l’exploitation optimale des ressources halieutiques en particulier par le biais de l’ajustement de l’effort de pêche au potentiel des ressources halieutiques en vue de la durabilité de leur utilisation.

Ils constituent par ailleurs un cadre inclusif et participatif de gestion des ressources halieutiques. Le Gouvernement a adopté par décret le plan d’aménagement de la crevette profonde. D’autres plans d’aménagement sont en cours d’élaboration.

  • Observation du repos biologique : le repos biologique instauré depuis 1996, a été institué à partir de 2003 et concerne principalement la pêche industrielle.

Elle vise la régénération des ressources halieutiques à travers la protection des phases critiques de leur développement (ponte, phase juvénile). Depuis son instauration, le repos, régulièrement appliqué aux navires de pêche démersale, a été élargi à la pêche artisanale en 2012 pour le poulpe.

  • Adaptation au changement climatique

En relation avec le Ministère de l’Environnement et du Développement Durable, le Plan national d’Adaptation du secteur de la pêche face aux changements climatiques (PNA-Pêche) a été élaboré et adopté le 02 novembre 2016. Sa mise en œuvre  devrait permettre de relever le défi du changement climatique.

 « Il existe quarante (40) CLPA répartis sur l’ensemble du territoire national »

Des redevances d’accès à la ressource halieutique ont été instaurées depuis 2005-2006. Selon des coordonnateurs de Conseils Locaux de Pêche Artisanale, 60 % des fonds générés par la commercialisation des Permis de pêche et 30 % des ressources issues de la vente des Cartes-Mareyeurs devraient être versés aux CLPA. A quand le versement effectif de ces fonds aux CLPA, qui sont confrontés à un déficit de moyens ? 

Afin de permettre la prise en charge de certaines dépenses de fonctionnement des Conseils Locaux de Pêche Artisanale institués par le Code de la Pêche maritime, l’arrêté interministériel n° 003733 du 11 avril 2011 créant le Fonds d’Appui au Fonctionnement (FAF) des Conseils Locaux de Pêche Artisanale (CLPA) et fixant leurs modalités de mobilisation et d’utilisation a été adopté.  Toutefois, depuis son adoption, des difficultés de mise en œuvre sont apparues, relatives à la mobilisation et à l’utilisation des ressources mises à leur disposition par l’article 11 de l’arrêté ministériel n° 9388 du 05 Novembre 2008 portant création des Conseils Locaux de Pêche Artisanale. Ces difficultés ont conduit au ralentissement du fonctionnement des CLPA et proviennent essentiellement des dispositions de l’article 13 prévoyant le versement des ressources dans le compte du Payeur général du Trésor, basé dans la capitale (Dakar), causant ainsi une contrainte pour la mobilisation et l’utilisation des ressources des CLPA.  En vue de minimiser ou réduire les contraintes liées à l’arrêté interministériel, il est proposé de  modifier   certains des ses articles,  en ajoutant les dépenses non prévues et en prévoyant le versement des ressources dans les livres du Percepteur du département du ressort du CLPA. L’arrêté interministériel  en question est en cours de finalisation et sera incessamment mis en application pour permettre la mobilisation et l’utilisation  desdits fonds par  tous  les CLPA.

 

Où en êtes-vous avec le projet de remplacement des embarcations en bois par des pirogues en fibre de verre ?

La CFAO Sénégal a installé la première usine de production d’embarcations en fibre de verre à Ouakam (Dakar), le 29 Janvier 2019. La CFAO a produit, pour le compte de la Société d’Infrastructure et de Réparation Navale (SIRN), 38 embarcations en fibre de verre en 2020. Pour l’année 2021, l’objectif est de produire 150 unités. Pour donner de l’impulsion au projet, le Gouvernement du Sénégal a signé un Memorandum Of Cooperation (MOC), le 30 Août 2019, à l’occasion de la TICAD7, au Japon avec les partenaires TOYOTA, YAMAHA, JICA et CFAO. En plus de la CFAO, trois autres partenaires techniques vont s’installer en 2021 ; l’objectif étant d’atteindre une production de 3.000 pirogues par an. Il s’agit de African Fiberglass de France, de Almatroshi Hunting de Dubai et de SILINGER France. La SIRN va signer un partenariat avec la DER pour un programme de financement des embarcations en fibre de verre aussi bien pour la pêche artisanale que le transport fluviomaritime.

 

A quand la mise en service du nouveau Quai de Pêche de Soumbédioune ?

Le Point de Débarquement aménagé de Soumbédioune (PDA) est en attente d’inauguration depuis l’année 2018. La livraison de l’ouvrage est actuellement plombée par la situation sanitaire mondiale due à la pandémie de COVID 19. Par conséquent, pour éviter d’accuser plus de retard dans le programme, il a été proposé que la Partie marocaine concède à la Partie sénégalaise de procéder au démarrage des activités du PDA, en attendant de pouvoir officiellement réceptionner et inaugurer l’ouvrage.

 

Propos recueillis par Joseph SENE

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