Village artisanal de Soumbédioune : Un patrimoine en perdition

Niché sur la Corniche ouest, non loin de la Médina, le village artisanal de Soumbédioune est un cadre de production, d’exposition et de vente des oeuvres réalisées par les artisans sénégalais. Avec 349 ateliers, le site créé en 1962 est inscrit au répertoire touristique du Sénégal. A l’image de l’artisanat local, après avoir connu son âge d’or, le village artisanal de Soumbédioune est de plus confronté à des difficultés découlant de la baisse de la fréquentation des touristes. Les répercussions sont perceptibles sur le plan commercial chez les maroquiniers, les bijoutiers, les couturiers, les sculpteurs et les vendeurs de tableaux peints. Les artisans tentent de remonter la pente en indiquant la nécessité pour les autorités d’agir au risque de voir le local sombrer davantage.

En cette matinée ensoleillée, la brise de mer de Soumbédioune offre un microclimat propice pour les promenades. L’odeur du poisson fumé à quelques dizaines de mètres fouette les narines des passants et des personnes empruntant l’allée menant au portail du village artisanal.
Les commerçants d’articles variés allant des chapeaux aux paniers en passant par les statuettes, les sacs et les boucles d’oreilles sont installés dans leurs cantines. Le calme règne à l’intérieur du village artisanal. La moindre venue est guettée par les occupants espérant, pour beaucoup, enfin enregistrer leur première opération de la journée. Les salutations des propriétaires du lieu sonnent comme une invitation à faire un tour dans la boutique pour acheter des articles. Les rares touristes identifiables grâce à leur teint ont droit à un « comité d’accueil » sortant des ateliers pour proposer des services le long des allées du village artisanal.
Trouvé devant son atelier de sculpture, Mouhamadou Waïga, bout de tissu à la main, dépoussière les statuettes représentant des animaux. Avec 40 ans de pratique du métier, le sexagénaire est le président du groupement des sculpteurs du village artisanal de Soumbédioune. Son entreprise est également spécialisée dans la vente d’ustensiles de cuisine et de statues en bois. En pleine discussion avec un collègue, M. Waïga se plaint de la baisse de l’affluence dans le site. Il pointe du doigt accusateur l’enclavement de leur lieu de travail rendant difficile la venue des touristes. Cela constitue un frein à la commercialisation de leurs articles d’autant plus que les étrangers sont des clients de premier plan.
L’enclavement s’est accentué, d’après M. Waïga, avec les chantiers de l’Agence Nationale pour l’Organisation de la Conférence Islamique (ANOCI) en prélude au sommet de l’Organisation de la Conférence Islamique (OCI) en mars 2008. Ainsi, à en croire le président des sculpteurs, l’aménagement du rond-point près du village artisanal rend impossible l’accès aux bus transportant les touristes. Ces moyens de transport n’ont pas un espace de stationnement à proximité, ce qui incite les tour-opérateurs à choisir d’autres sites au grand dam des maîtres de Soumbédioune.
En plus de l’inaccessibilité du site, les artisans sur place sont confrontés à des difficultés d’acquisition de la matière première. « Le bois-mort est introuvable », clame M. Waïga, d’un air dépité. « Nous sommes obligés de nous ravitailler auprès des gérants de parc de bois-mort dans les quartiers environnants », regrette-t-il. L’alternative impacte sur le coût de production des oeuvres et contraint les sculpteurs à limiter leurs stocks, renseigne Mouhamadou Waïga.

L’adaptation à la nouvelle donne

Ses dires sont confirmés par Cheikh Dioum, septuagénaire, occupant un atelier sur la même rangée que celui de notre précédent interlocuteur. Pinceau à la main, Dioum rend les statuettes plus éclatantes, l’une après l’autre. Cette occupation lui sert de passe-temps en attendant l’arrivée des clients.
Le maître sculpteur avoue que les restrictions sur l’acheminement des camions de bois-mort depuis le sud du pays freinent leur travail. Son voisin de plusieurs décennies à Soumbédioune, Waïga implore les gouvernants à accorder aux sculpteurs un quota pour pouvoir convoyer du bois-mort à l’image des forestiers. Cela va, d’après lui, préserver des emplois et leurs sources de revenus. Un tour à l’atelier de fabrique dans un compartiment reculé du village artisanal permet de constater l’exactitude des complaintes liées à la rareté du bois. Ici seuls quelques tas de troncs superposés attendent d’être sculptés par les ouvriers de tranches d’âge différentes.
A Soumbédioune, les sculpteurs ne sont pas les seuls à subir les conséquences de la rareté des touristes et autres acheteurs. Trouvé à l’extrémité droite, au bout d’un couloir abritant des ateliers de couture, Hady Bâ, quadragénaire à la barbe rasée, s’attèle à coudre une robe. Pressé par le délai de livraison, Hady accélère, aidé en cela par la musique émise par le magnétophone. Les sonorités Peulhs dictant le tempo renseignent sur ses origines. Hochant la tête au rythme de la mélodie, Hady a fini par se faire à l’idée que les touristes ne constituent plus un réservoir important de sa clientèle. En retour, il indique avoir diversifié ses clients.
Confectionnant aussi des sacs et des robes batiks, le couturier fait savoir qu’il ne produit que sur commande. Jadis prisés par les Occidentaux de passage dans notre pays pour s’acclimater sur le plan vestimentaire, les articles produits par Hady et les autres couturiers de Soumbédioune sont maintenant trouvables dans les ateliers de couture des quartiers. Le savoir-faire n’est plus une sorte d’exclusivité, reconnait Hady. Et cela donne lieu à une baisse des acheteurs au village artisanal.

Eliminer la sous-traitance

Les autres corps de métiers n’échappent pas à la règle. Rencontré à l’une des sorties du village artisanal, Bouya communique au téléphone. D’une allure imposante, Ibrahima Cissokho, de son vrai nom coordonne avec son livreur pour que celui-ci apporte un tableau à un client.
Bouya se définit comme un collectionneur de tableaux peints sur une toile en tissu et supportés par un cadre en bois. Face à la rareté des touristes, Cissokho dit s’en sortir grâce à ses relations tissées au fil de presqu’un quart de siècle d’expérience dans le domaine.
Chaque vente enregistrée sert de publicité, assure-t-il. Le collaborateur des artistes peintres avec qui il travaille sur la base d’un pourcentage à la vente, souligne que l’absence de visibilité sur les plateformes digitales est un des facteurs expliquant la baisse de l’affluence.
Il est persuadé que des efforts doivent être faits allant dans le sens de permettre aux potentiels visiteurs de disposer de toutes les informations nécessaires en ligne. Pour lui, cela va booster l’affluence et par ricochet faire les affaires des artisans du village artisanal. A ces derniers, Bouya conseille d’être moins « agressifs » en termes d’approche avec les visiteurs car cette pratique ternit l’image de Soumbédioune.
En outre, Bouya trouve que les hôtels doivent participer à la promotion du village artisanal de Soumbédioune en proposant à leurs clients d’y faire un tour.
Entre autres mesures de soutien aux artisans, le collectionneur de tableaux demande à l’Etat de traiter directement avec ceux-ci pour passer des commandes dans le cadre de l’acquisition de mobiliers de bureau ou d’oeuvres pour la décoration des établissements publics. A défaut, l’Etat laisse les créateurs à la merci des hommes d’affaires adeptes de la sous-traitance qui, en retour, leur proposent des miettes.

Onass Mendy (Stagiaire)

Papa Code NDOYE

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